La force du destin
Pascal Grosjean
Il l’avait dans le sang, la moto ; pour lui, elle n’était pas un choix, mais un héritage, une nécessité, un destin. Pour ceux qui l’ont connu, pour ceux qui l’ont côtoyé, sa vie s’est terminée d’une manière tragique, absurde ; la ligne passée, une nouvelle victoire acquise, puis un choc et la plongée dans le néant. Ça ne pouvait arriver qu’à Pascal !
Ça ne pouvait arriver qu’à lui, cet aboutissement d’une vie faite d’aventures, d’une soif jamais apaisée de profiter de toutes les circonstances, de chaque instant, de chaque rencontre.
Et c’était bien le milieu des courses, celui des paddocks, qui pouvait le mieux convenir à son tempérament. Il lui fallait ce challenge permanent qui le conduisait de circuit en circuit où il retrouvait, week-end après week-end, ses très nombreux potes, le bruit des moteurs que l’on chauffe, l’excitation des départs, les sensations du pilote qui joue avec ses limites, cultivant ce besoin constant de se dépasser, d’aller toujours plus loin dans sa passion.
Dès l’enfance, Pascal s’est trouvé plongé dans le monde de la moto et des sports mécaniques. Ses parents tenaient le garage du Plateau au Petit Lancy. Charly, passionné de mécanique est l’un de ceux qui, au sein du Norton, ont organisés les premières manches du Championnat suisse sur le circuit du Lédenon et du Castellet, de même que les premières sorties sur circuit. Denise, dans au début des années 70, est une des rares femmes à se lancer dans la compétition motocycliste : les rallyes, les Tours de France et même par deux fois le Paris – Dakar avec ses monstrueuses difficultés.
Les premiers tours de roues du futur champion - je m’en souviens – il les a faits sur le circuit du Castellet avec une trail de 250 cc, peut-être la moto de sa mère. Il n’avait alors pas plus de douze ans. Son père m’avait chargé de l’initier et surtout de le surveiller. Impressionnant d’emblée et déjà incontrôlable ! Il semblait avoir déjà tout compris.
Et puis, les années ont passé et les aléas de la vie l’ont éloigné de Genève. Ce n’est que bien plus tard, que je l’ai retrouvé, dans le cadre du Championnat suisse où il luttait pour le titre. Cela devait être à Dijon plus de vingt ans après. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite et n’ai même pas fait le rapprochement entre le gamin que j’avais côtoyé et le pilote qui avait sa place sur la première ligne de la grille. C’est lui qui est venu à moi avec un immense sourire comme si les années n’avaient rien effacé.
Il m’a emmené chez lui, c’est-à-dire dans son box, m’a présenté ses potes, sa moto… De fait, il n’avait pas changé et son enthousiasme de gamin sortait intact des années qui avaient passé. Il m’a raconté, émaillant son récit d’innombrables anecdotes, qu’il avait passé trois années en Coupe 250 Honda NSR, qu’il avait renoué avec la moto en championnat de cross, une discipline qu’il avait quittée à la suite d’un accident assez sévère, et … et encore… Bavard comme pas deux, Pascal ! Il me disait qu’il était maintenant complètement immergé dans la vitesse et qu’il visait le titre de champion suisse. Tout en marchant dans le paddock, il me présentait ses amis, tapant sur l’épaule de l’un, étreignant le suivant, serrant des mains tous les cinq pas. Il était dans son élément, dans son monde, pleinement.
Quelques mois plus tard, on s’est donné rendez-vous pour une échappée sur le Petit Magny-Cours. Il tenait absolument à perfectionner le pilotage d’Aurélie que j’avais initiée à la conduite sur circuit et il avait repéré son talent. Impossible de lui résister. Il a tout organisé. En fait, parce que ma 600 était hors service après un passage dans l’herbe, c’est sur la NSR que nous avons tourné. Lui, s’est trouvé, pour nous guider, une supermotard prêtée par un copain. Et comme, il s’est mis à pleuvoir, il nous a poussé à rouler quand même avec des slicks. C’est à cette occasion que j’ai vraiment appris à déhancher, suivant scrupuleusement ses conseils. Une révélation ! Pascal était un professeur hors pair.
2004, c’est l’année de la consécration. C’est aussi pour le Norton un moment-clé puisque cette année-là il met sur pied un authentique Championnat romand avec dans certaines catégories un plateau très relevé. Parallèlement au Championnat suisse, Gros-Gros - c’est désormais le petit nom qu’on lui donne dans les paddocks- revient au Norton et dispute toutes les courses organisées pas le club. Résultats deux titres, l’un romand et l’autre national, après trois années où il a dû se contenter de la troisième marche du podium. Ses amis se rappelleront longtemps la fête organisée au Lédenon, pour son titre de champion suisse, la moto aux couleurs fribourgeoises et son carénage en forme de vache.
Deux années encore, on le verra hanter les paddocks du Championnat suisse, au guidon d’une Kawasaki avec deux fois une deuxième place au classement final ce qui lui vaudra en 2006 de se voir attribuer le Mérite sportif du Norton 2006.
Puis, on va de nouveau le perdre de vue. D’abord parce qu’il se tourne du côté de l’endurance, mais surtout parce qu’il a trouvé un nouveau terrain de jeu, Dubaï dont il devient le roi incontesté par le nombre des victoires qu’il accumule. Terrain de jeu aussi, parce qu’il y fonde une école de pilotage très prometteuse qui lui permet de mettre en valeur tout son talent de « professeur ès pilotage».
Et puis, en ce mois de novembre 2010, l’accident. L’accident le plus stupide qu’on puisse imaginer. Il fallait bien que cela tombe sur lui, le gamin qui, s’il savait se montrer d’un professionnalisme rigoureux quand il s’agissait de pilotage, privilégiait avant tout les coups de cœur, les enthousiasmes, les plaisirs, les bravades, les blagues. Une drôle de blague du destin en l’occurrence, de celles qui nous laissent sans voix. Silence donc !
Les souvenirs restent et Gros-Gros nous manquera longtemps encore.
Roudy Grob
Bulletin 1 2011